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le cyborgien

Sans snobisme, entre voyage dans le temps et à travers les genres, le Cyborgien tente d'agrandir votre regard.

15 Jun

Dexter : ce tueur qui sommeille en chacun de nous.

Publié par COTE André  - Catégories :  #Dexter, #cop show, #Michael C. Hall, #Showtime, #serial killer, #Clyde Phillips, #cable

 

 

 

 

Suite à l'explosion de HBO dans les années 90, les autres chaînes du câble ont suivi le mouvement pour pouvoir exister face aux networks. Ainsi, que ce soit Showtime ou FX, chacune s'est mise en tête de proposer des programmes originaux afin de se démarquer des ABC, CBS et NBC. Un clivage s'est alors construit, chacun tentant de toucher un public bien distinct. De cet élargissement du paysage télévisuel, on a pu constater un contraste amusant puisque, au final, les networks et les chaînes payantes emploient les mêmes ficelles et outils narratifs, ne se singularisant qu'à travers leur cahier des charges.

 

 


 

 

Certes, Dexter n'est pas une pure création de Clyde Phillips pour la chaîne du câble Showtime, mais il n'empêche que l'on y retrouve quelques-unes des caractéristiques propres aux programmes de ladite chaîne. Ainsi, avant d'être une série télé portée sur les épaules de Michael C. Hall (l'un des frères Fisher de Six Feet Under), Dexter est une série de romans dont l'auteur est Jeff Lindsay et qui narre la double vie de Dexter Morgan : un expert médico-légal le jour et... serial killer la nuit. Quant à Clyde Phillips, on lui doit déjà Parker Lewis never can't lose, plus connu en France sous le titre Parker Lewis ne perd jamais.

A priori, les univers de ses deux auteurs n'ont pas grand ch
ose en commun (le thriller pour l'un et la comédie pour l'autre), et pourtant, ils vont trouver plusieurs points d'entente. En effet, les romans de Lindsay cultivent un humour noir puisque les événements sont narrés à travers le regard de Dexter. Or, cette forme de narration (la voix-off laisse évidemment éclatée la subjectivité du personnage principal) n'est pas atypique chez Phillips puisqu'il l'emploie déjà dans Parker Lewis : ce teen show de 1990 (oui, elle date un peu) a beau être exubérante avec ses influences cartoonesques (« cartoonesque » n'est pas vraiment le bon terme pour qualifier le melting-pot de références de cette production qui est, pour faire court, au teen show ce que Clair de Lune est à la comédie romantique), il n'en demeure pas moins qu'elle aborde avec sincérité et une saveur douce amère les thématiques du passage à l'age adulte et des appréhensions que cela entraîne.

 

 

 


De cette manière, avec une écriture similaire (mais plus dramatique, il va sans dire), Phyllips créé une connivence entre le personnage éponyme et le téléspectateur, faisant de Dexter une série très intense à suivre. Avec cette voix-off omniprésente, nous prenons conscience des démons qui tiraillent notre tueur en série, du conflit entre ses aspirations et ses pulsions, au point qu'il nous apparaisse, à terme, sympathique. Oui, c'est là l'un des points forts de ce show : Dexter Morgan est bien conscient de ses instincts de psychopathe et cela grâce à son père, joué par James Remar, le Rayden de Mortal Kombat 2 : Destruction Finale et l'un des amants de Kim Cattrall dans Sex and The City... oui, bon, chacun ses références. Mais il a surtout conscience de l'importance d'être intégré à la société, ou du moins de paraître l'être, pour ne pas éveiller les soupçons.

Il faut bien reconnaître que nous avons affaire là à une sorte de summum de l'ironie : une fiction dont le format appelle à être fédérateur (l'objectif d'une série télé est d'attirer le plus de téléspectateurs possible devant la chaîne qui la diffuse), or l'un des éléments du succès de celle qui nous occupe, Dexter donc, est de nous renvoyer en pleine figure notre tendance à être asocial. Cet aspect n'est même pas atypique dans le cadre d'une production télévisuelle, au contraire, il est même récurrent dès que l'on se penche du côté des chaînes payantes : avec Californication et House of Lies notamment, ces dernières proposent, entre autres, de nous faire partager l'intimité et le mal-être de personnages torturés, dans l'une avec la description d'un milieu où la drogue et le sexe font partie du paysage et, dans l'autre, la paranoïa et les velléités carriéristes.

 

 

 


Néanmoins, avoir pour ambition de se démarquer de la production mainstream ne fait pas tout. Il est tout à fait louable pour un producteur exécutif de vouloir devenir une alternative à la production courante, cela en devient même un passage obligé dans le cadre d'une infrastructure où l'on s'adresse à un public d'abonnés, Showtime en l'occurrence : pourquoi le public viendrait voir les programmes d'une chaîne payante si ses mêmes programmes ressemblent à ce qu'il se fait ailleurs, gratuitement ? Or, il y a tout de même plusieurs aspects auxquelles une fiction doit se conformer pour, au moins, rester lisible et toucher un public : conserver la rigueur d'une structure dramaturgique.

De ce fait, ce qui fait tout le charme de Dexter est avant tout un jeu constant entre la moralité et la nature du personnage principal. Il s'agit bien d'une fiction avec un tueur en série pour héros, mais ce tueur suit un code de conduite qui lui permet de subsister en contrôlant ses pulsions et justifiant ses actes (nourrissant la critique autour des limites du système judiciaire) mais, surtout, de lui garantir, en porte-à-faux, l'adhésion du public : le code que suit Dexter n'est ni plus ni moins qu'un semblant de morale qui permet à quiconque de s'identifier à lui. Or, cet élément, ô combien intéressant au début du show (il contribue pour beaucoup à en faire la force) va devenir par la suite le facteur de sa dégénérescence.

 

 

 


En fait, ce fameux code, qui garantit au récit une puissance emphatique (en forçant la connivence entre le téléspectateur et le personnage), connaît un développement rendant l'ensemble de plus en plus bancal. Pour ma part, l'attrait de Dexter provient de la capacité immersive de la réalisation (les commentaires en voix-off bien sûr, mais aussi la variété dans le choix des focales) et de l'interprétation (Michael C. Hall est impeccable), mais je ne peux pas en dire autant de toutes les intrigues et sous-intrigues qui trahissent souvent le besoin de remplissage des scénaristes.

C'est, du moins, ce que me laisse penser le traitement grossier de bon nombre de fils rouges, digne de McGuffin d'autres productions estampillées network (et je me demande si je ne suis pas à la limite du spoiler en vous annonçant la teneur des intrigues globales, dans tous les cas, vous voilà prévenus): un autre serial killer se révèle être le frère caché de Dexter (ce frère étant vite dépeint comme un alter-ego maléfique), Dexter initie une connaissance à ses activités inavouables (cette connaissance devenant vite son meilleur pote) et une tueuse apparaît, qui pourrait bien être l'âme sœur de Dexter. Il en est de même avec la galerie des personnages secondaires où chacun voit son charisme s'étioler au fur et à mesure que les scénaristes se penchent sur eux : ceux qui étaient, auparavant, haut en couleur (David Zayas, C.S. Lee, Lauren Vélez, ect.) , deviennent quelconque à cause de sous-intrigues à l'intérêt limité, vu que l'on tombe dans les sempiternelles histoires sentimentales entre collègue de bureaux... comme dans The Mentalist et Les Experts en somme.

 

 


 

 

Tout cela a pour conséquence d'amener la série à flirter avec les clichés les plus éculés, clichés que son statut de « show issu d'une chaîne du câble » aurait dû lui permettre d'éviter. Évidemment, en raison de la qualité de l'écriture, de la réalisation et de l'interprétation, Dexter parvient tout de même à se hisser dans le haut du panier des productions de son temps. J'admets que beaucoup des poncifs utilisés sont logiques une fois remis dans le contexte. Je qualifie donc Dexter de tv show inégal, certes, avec beaucoup de haut (les 4 premières saisons surtout) et aussi beaucoup de bas (le fin mot de l'histoire est l'un des pires dénouements qui m'ait été donné de voir jusqu'ici), mais même malgré ses défauts, Dexter reste une œuvre marquante, appeler à devenir une référence en la matière.

 

Photo Credit : Showtime

Dexter : ce tueur qui sommeille en chacun de nous.
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